« Chut, mon petit ange. Allons, ça va aller, ne pleure plus. Ton oncle est là pour chasser ces vilaines larmes. » Le petit être serré contre sa poitrine, l’infâme Vasara lui murmurait une myriade de paroles réconfortantes. Méconnaissable, dans un cadre pareil. Plein de douceur et d’attentions, un regard profondément bienveillant posé sur le nouveau-né. C’était apaisant, finalement, de s’occuper d’un petit truc qui passait son temps à brailler et à pleurer. Et puis, le gamin ressemblait à Elvira. Terriblement. Alors, ce n’était pas si désagréable, finalement. Cette petite créature avait également le don étrange de lui faire oublier ses problèmes, ses inquiétudes et tout ce qui lui restait à faire pour parvenir à ses fins terribles. Dyana, Andrei et tous les autres disparaissaient alors qu’il le tenait dans ses bras. Les plans de bataille pour capturer Kachi, ceux stratégiques pour évincer une ancienne dynastie du trône d’Aeristin, ceux dévoyés pour s’assurer la loyauté d’un maximum de personnes qui n’étaient pas de son sang. Ça faisait du bien, de faire une pause. De laisser tout cela sur le palier de la porte de cette minuscule chambre aux tons dorés. D’abandonner les ténèbres pour cette minuscule lueur de lumière prénommée Saar. Il ne pensait plus à rien, sinon à son avenir en tant qu’homme. Le conspirateur se taisait, pendant ces instants uniques et privilégiés. Le manipulateur n’avait plus son mot à dire. Ne restait que l’humain, celui qui voulait une famille à lui. Une descendance qui possèderait son sang. Et celui de sa propre sœur. Mais ce n’était pas pour autant qu’il aimait moins ce petit corps sur lequel il veillait précieusement. Lui aussi était sien. Même s’il n’était pas son fils. Même s’il n’était pas de sa famille. Il serait sa pupille, tant que le monde continuerait à tourner. Il retournerait des montagnes, assècherait des océans et ferait pleuvoir des larmes de feu sur le monde. Pour qu’il soit en sécurité. Il le formerait au monde des ténèbres, au vice et à la cruauté. Pour qu’il soit comme sa Mère. Et comme lui. Pour qu’il soit apte à évoluer dans le monde qu’ils comptaient bien construire. Après tout, la Valaeris était sa Reine. Son âme-sœur. Pas d’amour flamboyant ou de passion dévorante, entre eux. Leurs âmes s’appartenaient respectivement. Mais leurs cœurs les attiraient vers d’autres. Eros. Scylla. Ces deux-là étaient inscrits dans leurs chairs. Ils ne pouvaient s’en séparer, les oublier ou les laisser de côté. La sœur mesquine et le religieux ambitieux faisaient partis d’eux. Intrinsèquement. Mais Elvira et Achille s’appartenaient également. Chose immuable. Jamais l’un sans l’autre, depuis qu’ils étaient gamins. Destinés à être ensembles, jusqu’à la fin de toutes choses. Âmes-sœurs. Pas besoin de mots pour se comprendre, psychiquement connectés qu’ils étaient. Le même avis sur tout. Les mêmes idées, opinions. La même façon de voir les choses. C’était inexplicable. Ils étaient liés, par-delà le dicible. Par-delà les choses humainement imaginables. Alors, cet enfant qu’il tenait contre lui, c’était presque comme s’il était sien. Il en oubliait le monde extérieur, Achille. Et c’était précisément pour cette raison qu’il n’entendit pas la reine des astres pénétrer dans la pièce. Tout obnubilé par la vie qui se tenait devant ses yeux. Par ces petites mains blanches qui serrait son index. Il voyait l’avenir dans ces yeux clairs. La possibilité d’un autre monde. La récompense suite à une lutte acharnée pour un pouvoir corrompu. Il voyait la victoire, la raison pour laquelle il se battait aussi ardemment. Il voyait tout, dans les yeux du gamin. Etranges miroirs reflétant sa propre âme, idéaux et ambitions, désirs et craintes. Et puis, le Vasara leva finalement les yeux. Comme mu par un pressentiment. Parce qu’il sentait la présence de la complice de toujours, amie, sœur, confidente, pilier, soleil et lune tout à la fois. Sourire immédiat qui fleurit sur son visage de monstre. « Enfin réveillée, ma douce. J’ose espérer que tes rêves étaient agréables. Que Morphée t’as peut-être transmis d’horribles idées pour triompher de ta tante. » Incroyable paradoxe qui se déroulait. Si tendre envers la nouvelle vie qu’il tenait entre ses mains. Alors que d’ignobles propos franchissaient la barrière de ses lèvres. Complexité résumée avec ce seul acte.