Il accélère. Le palpitant bat furieusement contre la cage faite d’os et de chaire. Il assourdit son possesseur, alors que le sang tempète contre ses tympans, réduisant presque au silence les pas qui se pressent contre le sol de marbre. Des pas silencieux. Adonis a le sentiment d’être un voleur, chose qu’il n’a jamais été, ou n’a jamais eu l’impression d’être. L’homme rebelle ne tient plus, et alors qu’il avance, il n’a de cesse de se répéter, comme une rengaine aussi vieille que ce conflit absurde qui tourmante son cœur. Fait demi-tour. Et pourtant ses pas l’emmène toujours plus loin, l’obscurité camoufle le corps fin et élancé de l’Eartanarien, pendant qu’il évolue au sein du palais. Fait demi-tour, lui souffle encore une fois sa raison. Etouffé, comme ses pas, par l’adrénaline, l’envie, le besoin. La négociation a échoué. Lamentablement. Ils ont discuté plusieurs heures, sans parvenir à trouver un terrain d’entente. Leur vie scellée dans leur désaccord. Un amour brisé, perdu à tout jamais. Mais ça ne peut pas être la fin, songe Adonis. Ca ne peut pas se finir ainsi, pas aussi vite, pas dans cette douleur, si tranchante qu’elle détruit son âme, le brise en morceaux qu’il est incapable de récupérer et de recoller. Ce n’est pas lui qui pourra réparer l’être difforme qu’il est devenu. Le seul qui le peut se trouve derrière cette porte dérobée. Une petite porte, réservée aux servants, qui passent à l’aube, déposer le petit-déjeuner sur une table avant de disparaître, comme des ombres. Une porte similaire à celle qu’il aurait toujours dû emprunter pour le rejoindre. Dans le secret, avant que Cal ne cède et lui offre tout, tout en lui retirant sa nation, son désir de descendance et de grandeur. Fait demi-tour. Les paupières se referment sur le regard doré du jeune roi rebelle, il inspire profondément, et actionne la poignée. La porte s’ouvre, et il se faufile à l’intérieur, sans un mot. Quand Cal se rend compte de sa présence, alors Adonis lève les main en signe de paix. Je ne te ferai jamais de mal, a-t-il envie de dire. A la place, il souffle. « Je devais te voir. » Fait demi-tour, hurle la raison.

Cette pièce semble étouffante, trop petite pour contenir tous les maux qui rongent son âme. Le silence qui fait écho à sa propre respiration est assourdissant. Il se sent seul, Cal, bien plus qu'il ne l'a jamais été. Comme un lion en cage, il tourne en rond dans la pièce, laisse parfois son regard s'aventurer vers la fenêtre qui ne laisse entrevoir que l'obscurité oppressante de la nuit. Il réfléchit trop, beaucoup trop. Ça tourne en boucle dans son crâne, alors qu'il est là, loin de Launondie, loin du palais impérial, à compter les heures qui le séparent de l'aube. A profiter, de ces dernières heures, avant que le soleil ne se lève. Comme s'il en était capable, alors qu'il refuse de quitter ses pensées. Alors qu'il est partout, tout le temps. Adonis. Il est parti, mais l'est-il vraiment? Car Cal est incapable de l'oublier, incapable de penser à autre chose qu'à son visage, qu'à son regard lorsqu'il lui a dit qu'il refusait fermement d'abandonner l'Empire, un peu plus tôt. Lorsqu'il lui a dit qu'il préférait crever de sa main, plutôt que d'abandonner son héritage. C'était donc à ça qu'était désormais réduit leur amour. A une confiance brisée, à des regrets, à des sentiments qui refusent pourtant de le quitter, malgré tout ce qui s'est passé. Cal sait qu'il devrait le haïr, de tout son cœur, mais il en est incapable. Il ne semble pas y avoir de place pour la haine dans son cœur, mais à l'égard de son ancien amant. Il ne fait pas tout de suite attention à la porte qui s'ouvre, l'Oshun, bien trop captivé par ses sombres pensées. C'est le bruit de la porte qui se referme qui le fait lever les yeux pour croiser ce regard ambré dans lequel il s'est déjà bien trop de fois perdu. Son cœur loupe un battement, avant d'entamer une cadence folle. Son corps se tend, sur la défensive, avant qu'Adonis ne vienne rompre le silence de la pièce. Cal l'observe de loin, refusant de s'approcher. La distance a toujours été la meilleure des défenses, pour eux. Car il sait, l'Empereur, que la proximité ne leur réussit pas, que leurs corps s'attirent sans même qu'ils ne le réalisent, tels deux aimants. « Pourquoi? » Il a besoin qu'il fasse taire cet espoir infime qui vient de s'éveiller à nouveau en lui. Il a besoin qu'il réduise à néant ce sentiment stupide. Qu'il le fasse, qu'il réduise un peu plus son cœur en cendres pour lui donner le courage de lui faire face demain, à l'aube.

Le cobalt qui se mélange à l’ambre. Encore. Toujours. Inlassablement. Le cœur d’Adonis manque un battement, provoquant une sensation étrange dans son abdomen. Son estomac se tord, et ses doigts tremblent légèrement. Si légèrement que Cal ne le verra probablement pas. Mais la nervosité est bien là.
Pourquoi ? Pourquoi ? répète la voix dans sa tête, celle qui l’enjoint à la raison, qui le presse de faire demi-tour, de s’échapper et de dormir parce qu’à l’aube, il faudra diriger les troupes eartanariennes vers celles de Cal. Et son cœur se serre encore, d’y penser. Un de ses hommes va-t-il lui ramener son corps sans vie, pensant s’attirer les faveurs de son jeune roi ? Seront-ils assez stupides pour réellement penser qu’il le veut mort ?
« Je ne sais pas. », s’entend avouer le jeune maître. Il s’étonne lui-même de sa sincérité, son regard s’agrandissant un peu. Il déglutit, tandis que l’ambre quitte enfin le cobalt des iris de son amant. Il l’avait fait roi. Roi, mais pas comme il le voulait. Roi, mais sans le pouvoir. Un simple titre, fabriqué pour un amant, pour l’empêcher d’épouser une fille du choix de son père, pour l’empêcher de s’éloigner. Un titre qui lui avait conféré bien des avantages, au sein du palais impérial. Favori de l’empereur, son compagnon choisi et non imposé, on le respectait presque autant que l’on respectait Cal lui-même. Mais ce n’était pas assez. Ca ne sera jamais assez. Le sang bleu coule dans les veines du Griffith, et en un instant, il ressent encore un peu de cette colère.
Adonis pose à nouveau son regard sur Cal, ses épaules, il avance d’un pas, et son regard remonte sur sa bouche, des lèvres tentatrices, qu’il avait embrassé milles fois. Il avance encore d’un pas, conscient que s’approcher du loup était dangereux, bien que chaque pas réchauffait son corps, comme si Cal l’attirait déjà dans sa chaleur. « Je ne peux pas… », ses mots meurent contre ses lippes. Je ne peux pas continuer comme ça. Son regard remonte, et se plonge dans le cobalt incandescent.